Transitions de genre : la prudence est déjà de mise dans le monde médical
- andreauldry
- 2 sept. 2024
- 4 min de lecture
Le 31 août est paru dans la Tribune de Genève un article intitulé « Changement de sexe : des médecins appellent à la prudence ».
Il s’agit de l’interview de Monsieur Halperin qui se présente sous l’étiquette respectée de pédiatre. Toute l’interview est basée sur la publication de son article dans la revue « Swiss health web beta », que l’on peut à tout le moins qualifier de peu réputée. Il avait essayé de publier cette lettre dans le bien plus sérieux « Swiss medical forum » et cela lui avait été refusé car, tout médecin qu’il est, son texte n’avait pas la rigueur scientifique attendue : en un mot, c’était idéologique.
Basée donc sur une publication dénuée de réelle valeur qui elle-même cite des articles dont il est délicat de déterminer la rigueur scientifique, l’interview sert malheureusement la soupe à un personnage extrêmement clivant dans un sujet délicat, sans aucun commentaire ni recontextualisation.

Rappelons d’abord que la médecine est un domaine extrêmement vaste et que l’étiquette de « docteur » ne garantit en rien le fait, par exemple, que ce pédiatre ait eu de près ou de loin des cas concrets dans son cabinet. Il y a même des indices laissant penser le contraire.
Il est donc étonnant de voir un simple pédiatre dénigrer ouvertement ses confrères en les « appelant à la prudence », sous-entendant qu’ils seraient imprudents et donc de mauvais médecins. Il se permet même de les qualifier d’apprentis sorciers ! Les pratiques médicales dans le domaine de la transidentité ne se font pas à la légère, notamment au HUG ou d’excellents médecins sont encadrés par la direction médicale, par de nombreux confrères et se plient bien entendu aux recommandations d’instance comme les commissions d’éthique.
Ce sont ces praticiens qui sont au contact régulier de jeunes patients présentant une dysphorie de genre et ce sont eux qui forment des équipes pluridisciplinaires composées de pédiatres, de psychiatres, d’endocrinologues, etc… spécifiquement formés.
Quand l’interviewé donne comme hypothèse à la prétendue multiplication des cas (j’y reviendrai) le visionnement par des enfants de 10-12 ans de vidéos pornographiques, son étiquette de « médecin » perd toute valeur. En effet, il s’agit d’une idée à l’emporte-pièces comportant de nombreux stéréotypes sous-jacents sans fondement étayé et entretenant la confusion entre genre et sexualité notamment.
Ensuite, un mot par rapport aux « traitements irréversibles sur des mineurs » : M. Halperin entretient volontairement une confusion complète entre bloqueurs de puberté, hormones et interventions chirurgicales. Ces dernières, à l’exception des mastectomies dans des cas bien particuliers, ne sont pas pratiquées à Genève sur des mineurs.
Ce qui peut se passer chez des mineurs, c’est l’utilisation de bloqueurs de puberté, voire d’hormones. Mon propos n’est aucunement de minimiser leur portée mais là encore, il y a lieu de différencier les aspects.
Les hormones sont déjà un traitement au moins en partie irréversible. Toutefois, leur prise par des mineurs, dans le cadre d’un suivi spécialisé, n’intervient qu’après une période de réflexion, de suivi et où l’ensemble de l’entourage médical et familial ainsi que la personne concernée acquièrent la certitude de la voie à suivre.
En parlant d’irréversibilité, nous oublions parfois à quel point ne rien faire pendant l’adolescence laisse le corps de développer (pilosité, voix, carrure, poitrine, …) de manière elle aussi irréversible. Un traitement hormonal qui ne serait pas approprié n’est pas moins réversible qu’une absence de traitement qui aurait été approprié.
Nous arrivons là au cœur du problème médical sur les mineurs trans, à savoir les bloqueurs de puberté. De quoi s’agit-il concrètement ? Si je laisse volontiers aux médecins la tâche de détailler leur fonctionnement, deux éléments semblent intéressants. Le premier, c’est qu’il y a un recul médical sur ces traitements qui sont administrés depuis longtemps, dans le cadre de pubertés trop précoces. Le deuxième, c’est que, utilisés pendant une période raisonnable, ils sont réversibles.
Et que permettent-ils ? La réflexion. Ils permettent aux jeunes concernés d’être accompagnés dans leur cheminement sans être empressés par le temps du corps qui change à vitesse grand V. Et c’est pour cela que ces bloqueurs de puberté sont combattus par ces personnes réactionnaires : après ce temps de réflexion, les jeunes présentant une dysphorie de genre n’ont en général pas « changé d’avis » et souhaitent donc poursuivre vers les hormones, remettant ainsi en question des dogmes idéologiques. Et les quelques-uns qui ont changé d’avis feront leur puberté comme n’importe qui d’autre, sans séquelles.
La remise en question de traitements utilisés dans d’autres cas depuis des décennies parce qu’ils le sont maintenant dans le cadre de potentielles transitions de genre montre bien l’attachement clair à l’idéologie et non à la science du Dr Halperin. La médecine n’est pas (et n’a jamais été) une science exacte où l’on peut exclure d’emblée tout tâtonnement ou toute erreur. Toutefois, les médecins travaillant maintenant depuis plusieurs décennies avec ces patients ont fait de nombreux progrès, attestés dans de nombreuses études.
A ce titre, soyons clairs : il n’y a pas d’explosion de cas de personnes transgenres, il y a simplement une possibilité nouvelle pour ces personnes d’accéder à des soins et des traitements qui n’existaient tout simplement pas. Dans une population souvent très précaire, notamment en raison de très fortes discriminations, nous devrions nous en réjouir plutôt que de l’attaquer et de faire pression sur l’entourage médical. Des pressions qui existent en Suisse, menées notamment par l’association pour une approche mesurée des questions du genre, l’AMQG, notoirement transphobe et autour de laquelle le Dr Halperin gravite.
Avant de conclure, ajoutons un mot sur les fameuses « détransitions ». Les cas réels sont extrêmement rares. Contrairement à ceux, inclus dans les statistiques, où une personne arrête une transition « en cours de route » parce que cela lui suffit ou ceux, problématiques, où une personne renonce car les discriminations rencontrées lors de la transition sont trop fortes. De tels discours alimentent sans aucun doute cette catégorie.
En conclusion, arrêtons-nous sur un point simple et rationnel. Quand une personne, de surcroit mineure, nécessite un accès à des soins quels qu’il soit, elle a besoin de spécialistes qui s’occupent sereinement d’elle en tenant compte de l’état de la recherche scientifique et des connaissances acquises et non de médecins d’autres disciplines venant radoter leur morale réactionnaire sur la place publique. Protégeons nos jeunes, laissons-les entre les mains de celles et ceux qui savent faire, autant en termes d’écoute que d’accompagnement psychologique ou médical, lorsqu’il y en a besoin.
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